Entretien réalisé le 2 octobre 2014
• Qui êtes-vous et quel est votre parcours de réalisatrice ?
Je réalise des documentaires et des magazines depuis une quinzaine d’années. Je travaille essentiellement sur des documentaires dits de société et sur quelques questions scientifiques.
• Vous travaillez donc pour diverses chaines, divers producteurs, qui vous proposent des réalisations ?
Oui exactement, je ne travaille que pour les chaines publiques.
• Quelle est votre manière de travailler, d’un point de vue éthique et esthétique ?
Le principe fondamental pour moi est de travailler avec les personnes que l’on filme, d’être au plus près de l’histoire de chacun, de la vérité de sa situation. On n’est pas dans un travail journalistique, objectif, mais dans un regard subjectif qu’on assume et qu’on essaie de mettre en forme de manière esthétique. J’aime travailler en laissant un maximum de parole aux témoins. Mais dans « A vous de voir », et quand il s’agit de sujets scientifiques, les scientifiques portent au maximum cette parole que ne peuvent pas porter les témoins. C’est l’état d’esprit dans lequel je travaille et dans lequel je voudrais continuer à travailler.
• Quelles sont vos relations de travail avec les producteurs et quelles sont les contraintes ? Ce que vous souhaitez faire n’est peut-être pas forcément ce qu’ils attendent ?
C’est à nuancer, tout dépend de l’interlocuteur et du sujet, l’exigence du documentaire tel que je le conçois est un regard subjectif assumé, tout en laissant une parole importante aux personnes filmées, quand il s’agit de témoignages. Certaines chaines de télévision conçoivent le documentaire autrement et sont aujourd’hui dans une demande d’explicitation. Il y a une grande angoisse de leur part que les spectateurs ne comprennent pas. Je ne travaille pas ainsi, le commentaire doit être choisi par la réalisation et non pas formaté par l’extérieur qui voudrait l’imposer.
• Comment vous a-t-on proposé de travailler sur le reportage qui est diffusé sur France 5, avec quelles contraintes et dans quelles conditions matérielles ?
C’est un sujet qui m’a été proposé par le directeur de Bleu Cristal Production. J’ai trouvé ce sujet intéressant car, ce que j’aime, c’est la rencontre entre la sphère scientifique et médicale, et le patient, malade ou témoin, comment on vit avec cette pathologie, etc. La chaine a validé ma proposition en amont, sur la base d’un dossier.
En termes de tournage, c’est le directeur de production qui m’a parlé de Maryse, présidente de l’association Ouvrir Les Yeux. Je me suis mise en relation avec elle. Cela s’est fait très facilement car Maryse a tout de suite été très enthousiaste sur le fait que la NOHL fasse l’objet d’un documentaire. Elle m’a ouvert toutes les portes, et proposé tous les contacts, médecins, témoins …
J’avais plusieurs témoins possibles. J’ai choisi Maryse et Pierre-Maxence, l’autre témoin-patient du film, car c’étaient un homme et une femme, et pour le décalage d’âge : Maryse a déjà vécu, Pierre-Maxence est un jeune homme encore dans la construction de sa vie, ce qui est intéressant pour la problématique. J’aimais bien aussi leur manière d’aborder la maladie et d’en parler, très sincèrement, avec leur douleur mais avec un souffle de vie qu’il me semblait nécessaire de faire passer. Chose qui m’a été légèrement reprochée au moment du visionnage par la chaine : les deux témoins, très positifs, sont-ils vraiment le reflet des patients ? Probablement pas, ai-je répondu, mais mon choix n’était pas de montrer des situations plus dramatiques car j’avais envie d’aller vers un discours plus constructif, du côté de la vie.
Le tournage dure 5 à 6 jours et le montage une grosse dizaine de jours.
L’équipe de tournage se compose de trois personnes: l’ingénieur du son, le cameraman et la réalisatrice, le monteur. intervient ensuite. Même si techniquement il serait possible qu’une seule personne fasse le travail de tournage, je suis de cette école qui pense que chaque membre de l’équipe a sa place, J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Cela n’est pas forcément de nos jours entendu partout. Avec « A vous de voir », cela fonctionne bien ainsi. La qualité du son par exemple est primordiale pour le public déficient visuel et l’ingénieur du son assure cette qualité.
• Avez-vous dû abandonner certaines pistes ?
Pierre Mendès-France disait « Gouverner, c’est choisir. » et réaliser, c’est choisir, on passe notre temps à faire des choix, surtout au montage.
Dans la partie scientifique notamment, c’est très maitrisé. J’ai choisi trois intervenants scientifiques, un chercheur de l’INSERM, Pierre Rustin, le Dr Orssaud, de l’hôpital Pompidou à Paris, qui parle de la maladie et de la thérapie pharmacologique , et Marisol Corral-Debrinski pour la partie recherche et thérapeutique génétique.
On arrive au montage avec énormément de rushes et il faut choisir, c‘est à la fois enthousiasmant car le film se construit, mais aussi pénible car il faut renoncer à certaines choses. Il est important d’avoir à ses côtés un monteur concerné, intéressé par le sujet, qui apporte un autre regard, pour l’intérêt du film.
• L’émission s’adresse à tout public, mais est suivie en particulier par des personnes mal ou non voyantes. Comment prenez-vous cela en compte ?
Dans le cœur du sujet bien entendu, et aussi dans la construction du film, dans le montage. Le commentaire est important. Ce qui ne peut pas être forcément vu doit être dit. On soigne le son car les personnes non voyantes ou malvoyantes y sont sensibles. On a une écriture un peu différente, un rythme particulier, un peu moins rapide. On laisse peu de silences. Pour une personne non ou malvoyante un silence équivaut à un trou noir pour une personne qui n’as pas de handicap visuel.
• Concernant les personnes atteintes de NOH et leurs proches, avez-vous souhaité leur transmettre un message et lequel ?
Oui, j’espère leur transmettre un message d’espoir. Le film parle beaucoup de thérapeutique, les témoins se projettent dans l’avenir, une porte est ouverte.
• Finalement, qu’avez-vous retenu de cette expérience et de la maladie ? Qu’est-ce qui vous restera de cette expérience ?
Pour « A vous de voir », je ressors toujours avec un sentiment d’avoir fait des rencontres, que ce monde- là, étranger pour moi, voyante , m’est pourtant très proche. C’est le sentiment d’un monde familier.
Ces personnes prennent leur maladie avec une distance, une sagesse, une joie de vivre époustouflante. Je suis bluffée. Il y a une leçon de vie incroyable et j’aimerais que ce soit cela qui ressorte. Mais je ne veux pas mettre de côté ceux qui ont plus de mal avec la maladie, j’espère qu’ils s’y retrouveront quand même, d’une certaine manière.
Propos recueillis par Valérie Delneste, bénévole de l’association Ouvrir Les Yeux. Merci à elle et à Emmanuelle Sapin pour le temps qu’elles ont généreusement consacré à cet entretien.